A L'OMBRE DE TAHA HUSSEIN

UN CITOYEN QUI S'INTERESSE A LA MARCHE DU SIECLE

mercredi 16 février 2011

LE SUIVISME N’EST PAS DANS LA CULTURE MAROCAINE

Je suis de ceux qui sont scandalisés, voire outrés, de voir de soi-disant experts de géopolitique  "s'exhiber" sur les plateaux TV (en Europe) en proférant des amalgames (tout juste aptes à impressionner les abonnés du "Matin de Sahara"!) quand ils abordent le cas des régimes despotes qui accaparent pouvoirs et richesses dans les pays du Proche et du Moyen-Orient.


Et que disent ces savants oracles ?

Que le vent de la révolte (ou de la Révolution) va balayer — comme les bourrasques de mars — les régimes totalitaires et dictatoriaux du Monde Arabe, l’un après l’autre ! Comme dans un jeu de dominos !..

En citant spécifiquement le Maroc, comme faisant partie de ces régimes !

Comme si ce monde Arabe (dont ils semblent connaître les moindres caractéristiques sociopolitiques et culturelles) n'est après tout qu'un ensemble de contrées homogènes qu'un simple coup d’œil pourrait sonder!...

Comme si l’on mettait sur le même niveau de comparaison la Monarchie Britannique avec les Républiques Française, Italienne ou Grecque !

Comme si, au Maroc, nous sommes toujours sous le règne de Hassan II !

Je suis outré, parce que dans la plupart des cas, ces experts montrent beaucoup de pertinence dans leurs analyses et débats relatifs à des crises de géopolitique propres à l’Europe, mais sont bigrement amateurs quand ils évoquent les événements du Proche et Moyen-Orient.
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Et je me pose cette question : pourquoi prennent-ils à la légère et même avec une pointe de condescendance (de ceux qui considèrent que leur expertise est une marque d’infaillibilité!) les crises qui secouent de temps à autre le monde arabo-musulman ? Est-ce qu’ils prennent la peine de consulter l’Histoire des pays ou des régimes, objets de leurs critiques, avant de débiter leurs "savantes théories"?

Cette saute d’humeur qui me submerge n’est pas le fruit d’un chauvinisme exacerbé.
Je considère seulement que le cas du Maroc est tout sauf similaire à celui de nos voisins.

Même si, il est vrai, un vent de révolte semble se propager tout autour de nous. Et qu'il soit normal que nous nous en préoccupions. De là à considérer que nous sommes au bord du gouffre...

Parmi tous les pays de Proche et Moyen-Orient en ébullition aujourd’hui, le Maroc est la seule Monarchie qui a vu se succéder sur son trône plusieurs dynasties, voici plus de 12 siècles ! La dernière (la Dynastie Alaouite) est au pouvoir depuis plus de 4 siècles déjà !


Tous les Chefs d’Etat en exercice aujourd’hui dans le monde Arabe sont établis après des coups d’état — plus souvent militaires — et gouvernent sous un régime républicain certes, mais à mille lieues de la Démocratie (universellement connue) telle qu'elle est pratiquée dans les républiques occidentales. Les plus jeunes d’entre-eux ayant plus de 15 ans de règne, les plus vieux plus de 30 ans ! Tous promulguant des constitutions qui les désignent à la "Présidence à vie !" avec "ce péché mignon" qu’ils s’autorisent : désigner un successeur de leur vivant (plus souvent de leur progéniture!).

Ce n’est pas le cas au Maroc, et pour cause : la Monarchie tire sa légitimité de l’Histoire ! Et cette histoire reconnaît au Maroc, le statut de nation constituée, avec ses propres caractéristiques de gouvernement, reposant sur des règles et des traditions bien établies ; la première nation en Afrique du Nord à avoir ouvert des ambassades accréditées dans les principales capitales européennes qui comptaient à cette époque (17ème siècle déjà!). Le temoignage qui suit, donne un éclairage convaincant à ce sujet :

Ali Benhaddou, L’Empire des sultans, essai Anthropologie politique au Maroc, Riveneuve éditions, 2010, pages 7-8

       

Paroles d’actions


"Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une véritable poussière, d’un état de chose inorganique, où le seul pouvoir constitué était celui du Dey turc, effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude, qui, jusqu’à ces dernières années, faisait encore figure d’Etat constitué, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, sa représentation à l’étranger, ses organismes sociaux dont la plupart subsistent toujours, malgré la défaillance récente du pouvoir central. Songez qu’il existe encore au Maroc nombre de personnages qui, jusqu’à il y a six ans, furent ambassadeurs du Maroc indépendant à Petersburg, à Londres, à Berlin, à Madrid, à Paris, accompagnés de secrétaires et d’attachés hommes d’une culture générale, qui ont traité d’égal à égal avec les hommes d’Etat européens, qui ont le sens et le goût des choses politiques : rien de similaires n’existe en Algérie, ni en Tunisie.


A côté de cet état-major politique, il existe également un Etat-major religieux qui n’est pas négligeable. Le ministre de la Justice actuel du sultan a professé pendant des années à l’université d’Al Azhar au Caire, à Istanbul, à Brousse, à Damas, est en correspondance avec les Oulémas jusqu’aux Indes, et avec l’élite islamique d’Orient. Il existe enfin une équipe économique de premier ordre, composée de gros commerçants qui ont des maisons à Manchester, à Hambourg, à Marseille, qui y sont généralement allés eux-mêmes.


Nous nous trouvons donc là en présence d’une élite politique, religieuse et économique qu’il serait insensé d’ignorer, de méconnaître et de ne pas utiliser car, associée étroitement à l’œuvre que nous avons à réaliser au Maroc, elle peut et doit l’aider puissamment. Ajoutez, – et tous ceux d’entre vous qui sont allés au Maroc le savent bien, – qu’il y a là une race industrieuse, laborieuse, intelligente, ouverte au progrès, dont on tirera le plus large parti à condition de respecter scrupuleusement ce qu’elle veut voir respecter. Ce pays réalise donc les conditions les plus favorables pour y faire l’œuvre la plus belle, la meilleure, en coopération avec les indigènes sous la réserve absolue de laisser à la porte les préjugés et les maladresses qui ailleurs ont altéré notre action."

1. Lyautey, Paroles d’actions, Madagascar, Sud-Oranais, Oran, Maroc (1900-1926), Librairie Armand Colin, Paris, 1927, pp. 172-173.
Evidemment, cette Monarchie n’a pas toujours été exemplaire dans ses méthodes de gouvernement. Et si la première partie du 20e siècle fut marquée par des soubresauts sociopolitiques (révoltes dans le bled Siba, recours au Protectorat français …) ou de crises de pouvoir (régime autoritaire après l’indépendance, opposition d'obédience socialiste cherchant à instaurer un régime parlementaire démocratique, par la force s'il le faut...d'où les coups d'état répétitifs...), la 2e partie a vu se réaliser l’alternance politique (arrivée de l’opposition au pouvoir) et, après la disparition de Hassan II, le passage à une ère d’ouverture et d'apaisement social sous le règne de Mohammed VI, ayant introduit des avancées non négligeables au plan des "droits" du citoyen...Par exemple : un zeste de libertés d’expressions (ou d’opinions) encouragées (mais malheureusement malmenées en chemin...); la Moudawana sur les droits de la femme votée (mais appliquée selon l'entendement variable des juges!) ; une nouvelle forme de gouvernance de proximité instaurée dans les services publics pour plus d’écoute en faveur des citoyens (hélas peu suivie); le lancement d’un régime de couverture médicale généralisée ( l’AMO) à l’ensemble des salariés (publics et privés) répondant aux demandes légitimes d’une population à petits revenus; des organisations officielles et privées émergeant ça et là et œuvrant sans relâche pour la défense des droits de l’Homme … et j’en passe (pour ne pas verser dans la flagornerie).

D'accord! C'est peu compte-tenu des attentes criardes des populations "larguées" en zones rurales!(formant la moitié de la population totale du pays). C'est insignifiant par rapport à nos capacités et ressources dilapidées par la cupidité de nos dirigeants!

 Mais ce n'est que le début d'une nouvelle ère, appelée à se "bonifier" avec le temps...

Aucun pays Arabe alentour ne peut se prévaloir des mêmes évolutions politiques (peut-être trop lentes à notre goût, mais néanmoins paisibles et restant perfectibles avec le temps). Qui plus est, sous une monarchie! (Regardez l’Arabie Saoudite ou la Jordanie, et faites la comparaison…).

Naturellement, l'accélération du temps et la montée des revendications populaires nous contraignent à procéder à des réformes urgentes et significatives dans nos méthodes de gouvernance actuelles. Parce que les effets de la mondialisation, rendus plus déterminants grâce à la propagation de l’Internet dans le monde (et son corollaire les réseaux sociaux), exige de nos gouvernants énergie et efficacité dans le choix de leurs politiques de réformes et de gouvernement qui satisfassent les Marocains. Qui peuvent désormais "savoir"  et "s'interroger" sur les raisons qui condamnent le Maroc à la stagnation, comparé à d'autres pays en développement dans un monde, "réduit" aux dimensions d'un village, sous la "dictature" omniprésente et bienfaisante d'Internet!

Et je doute que Mohammed VI, très populaire auprès des jeunes (et de la classe moyenne), ne soit pas conscient de cet éveil soudain et revendicateur des citoyens qui réclament une marche accélérée des réformes qui lui tiennent à cœur (éducation, justice, santé publique, emploi etc.…).
Il est même probable que le Roi soit en train de réfléchir ( sous la pression des événements) aux moyens à mettre en avant pour accélérer le rythme des réformes qu'appellent les circonstances critiques du royaume. Ceci, d’autant plus que notre "statut avancé" d’associé à l’U.E. exige de nous des réalisations socio-économiques concrètes et urgentes (souvent réclamées avec insistance par nos partenaires Européens).

A cet égard, l’analyse lucide et imparable de notre Abdellatif Laâbi national, mérite notre attention :



Telquel N° 458 du 19 Jan. au 4 Fév. 2011, Tribune, Ce Maroc qui ne va pas si bien, Abdellatif Laâbi/page 21

Le sacrifice de la démocratie


Le décollage économique du pays, dont certaines premières sont incontestables, d’autres sujettes à caution, est à ce prix. Et sur cet autel où le culte du veau d’or est célébré de façon indécente, c’est le décollage démocratique qui est en train d’être sacrifié. Comment comprendre autrement les atteintes réitérées à la liberté d’opinion, le harcèlement des organes de presse, les condamnations des journalistes sous les prétextes les plus fallacieux, et dans d’autres domaines tout aussi symboliques la démission de l’Etat face au délabrement du système éducatif ou le désintérêt vis-à-vis de cet enjeu majeur que représente la culture dans la formation de l’esprit de citoyenneté et la structuration de l’identité épanouie d’une nation ? Le scénario ainsi rédigé, presque bouclé, n’est sûrement pas celui auquel on s’attendait il y a juste dix ans. Et rien ne laisse présager qu’il reste ouvert à une réécriture quelconque.


Vers un sursaut citoyen


Les éléments de réflexion qui précèdent, conçus, je dois le préciser, avant les « évènements » de Tunisie, me renforcent dans l’idée qu’un changement de cap s’impose au Maroc. A cet égard, l’amalgame simpliste aussi bien que la politique de l’autruche serait éminemment périlleux. Le Maroc, et pour de multiples raisons, n’est assurément pas la Tunisie, mais certains ingrédients qui ont été à l’origine de la Révolution dite du jasmin sont réunis, presque à l’identique et depuis fort longtemps dans notre pays. Si comme je le crois, la majorité des Marocains aspirent ardemment à une transition pacifique, mais irréversible, vers la démocratie, le moment est donc venu d’un sursaut citoyen impliquant toutes les forces politique, sociales et intellectuelles qui partagent la même aspiration.


Le moment est venu pour nos gouvernants de donner des gages concrets de leur volonté à satisfaire une telle aspiration, le plus urgent consistant à prendre des mesures radicales pour répondre à la détresse économique et sociale qui a atteint un seuil critique. Cela impliquerait, disons-le sans ambages, la remise en question des choix économiques et du modèles de croissance actuels. L’autre gage serait un acte fondateur, négocié avec l’ensemble des acteurs de la scène politique et de la société civile, en vue d’imprimer à la Constitution du pays les principes d’un Etat de droit, instaurant la séparation des pouvoirs, l’égalité devant la loi, la protection des libertés, mais aussi d’un Etat de type nouveau prenant acte de l’identité culturelle et autres spécificités de certaines régions pour accorder à leurs populations l’autonomie à laquelle elles ont droit.


Une nouvelle croisée des chemins est en vue pour le Maroc. Le rendez-vous que l’Histoire nous y a fixé ne souffre aucune attente. Puissent la raison et les intérêts supérieurs du pays nous y conduire à temps et nous faire choisir la voie la plus sûre du progrès, de la dignité et de la justice, celle du décollage démocratique.

Toutes ces critiques (justes et pertinentes) que porte notre intellectuel sur l’état peu enviable de notre situation socioculturelle et de nos libertés individuelles font certes l’unanimité dans l’opinion publique. Et rien ne dit que cette situation n’est pas appelée à changer concrètement...et par étapes.

De même pour les suggestions qu’il propose, pour une véritable démocratisation du pays, passant par une meilleure répartition des pouvoirs (législatif et exécutif), et par une délégation effective du pouvoir à un gouvernement qui gouverne, et à un parlement qui légifère et contrôle, et à une presse libre qui joue son rôle d’informer et d’introduire un certain civisme dans nos relations entre citoyens, le tout sous l’arbitrage éclairé d’un Roi qui règne avec pragmatisme et sobriété, loin de la horde des courtisans hypocrites et rapaces qui, à la longue, risquent de ternir irrémédiablement son image auprès des citoyens… (les événements vécus par son défunt père doivent lui servir d’exemples … à éviter !).
Se retirer progressivement de certains montages économico-financiers effectués sous la houlette de "Mister" Majidi (à travers le holding SNI), serait de bon aloi, pour commencer…



C’est pourquoi il me semble que nous n’avons pas de "complexe" à avoir vis-à-vis de la Tunisie ou de l’Egypte, pour la bonne raison que nous avons entamé chez-nous des changements judicieux dans plusieurs domaines, peut-être pas beaucoup (ou pas du tout dans d’autres), et que nous avançons à notre rythme. Une accélération dans le processus serait la bienvenue, pour toucher plus significativement des domaines qui en ont vraiment besoin : éducation, santé, emploi, justice. Et là je rends hommage à la clairvoyance du jugement de notre cher Abdellatif Laâbi.

L’essentiel étant d’arriver à bon port sans encombre.
Mais je suis d’accord, il est temps d’agir : Réformes oui, Révolution non !

Et un suivisme par contagion, non non et non !