A L'OMBRE DE TAHA HUSSEIN

UN CITOYEN QUI S'INTERESSE A LA MARCHE DU SIECLE

jeudi 18 février 2010

QUI PEUT LE MOINS, PEUT LE PLUS!

Le Salon de l'Edition et du Livre de Casablanca (du 12 au 21 février 2010) est devenu pour moi un lieu de "pèlerinage" obligé, depuis que mon fils m'y a donné goût (en l'accompagnant) parce qu'il y a toujours déniché des trésors de "curiosités", même si l'objet de ses recherches n'étaient pas toujours littéraires.
  

L'édition de cette année n'a pas dérogé à la règle, et donc le passionné de littérature que je suis, fut comblé et ravi.

Les débats organisés à l'occasion de ses "Salons" à Casablanca étaient pour moi l'occasion de vérifier si ma passion pour la littérature est surdimensionnée par rapport à sa vocation réelle (miroir de nos turpitudes, de nos rêves et de nos illusions perdues, nos ambitions toujours renouvelées) ou si au contraire, j'ai un retard à combler dans ma perception de ce qui paraît être la solution miracle que seule la littérature est capable d'apporter au "mal du siècle" que nous vivons.

J'ai le sentiment personnel que cette littérature a encore de bons jours devant elle, et qu'elle reste notre ultime quête pour le maintien en état de veille de notre conscience, en suscitant en nous le sens critique à l'égard du monde qui nous entoure, sans relâche.

Le thème choisi cette année pour le SIEL 2010: "Les Marocains du Monde à l'Honneur", fut à lui seul pour moi, un réel motif de satisfaction, par la qualité du panel d'écrivains invités (Marocains, Maghrébins, Français ayant un lien avec le Maroc).

L'acte premier de la littérature n'est-il pas de provoquer en nous de "sublimes tentations", comme celui d'ouvrir "la boîte de Pandore" (qu'elle symbolise si bien à travers les œuvres qu'elle met entre nos mains) et de nous laisser guider par nos instincts spontanés vers l'inconnu? Il arrive que cet inconnu soit tantôt un paradis illusoire, avec ses joies éphémères et ses bonheurs improbables, tantôt un enfer incandescent, avec ses horreurs programmées et ses destins tragiques!

Pendant les débats auxquels j'ai assisté (avec mon épouse) j'étais sincèrement impressionné par le talent, la passion et la pugnacité de ces intellectuels dans leur questionnement sur ce monde en marche et je n'ai pas hésité à acheter les livres qui ont fait l'objet de ces débats. Aussitôt rentré chez moi, je me suis jeté dans la lecture de mes précieuses acquisitions...Passionnant!

Voici par exemple ce que dit cet auteur maroco-algérien Anouar Benmalek (1), au prologue de son roman "Ô Maria" (Page 11):


   
 "Ma mère était cruelle et je l'aimais comme on aime un ange. Elle, de son côté, m'aimait comme on aime un bâtard: amèrement, violemment, avec haine parfois. Tout au long de mon enfance, j'ai souvent senti dans son regard un reproche soudain lui échapper ("Mais pourquoi es-tu venu au monde chiard?" hurlaient alors ses pupilles rétrécies). Son amour, luttant contre la colère inspirée par un passé toujours présent, lui faisait vite refermer ses yeux accusateurs. Ne sachant comment se rattraper de cette bouffée de rancœur envers son enfant, elle m'attirait alors à elle et me caressait furtivement les cheveux.
De nouveau à court de mots, pour me demander pardon, elle finissait par me repousser ou par me flanquer une gifle qu'elle regrettait aussitôt, ce qui accroissait son exaspération.
Je crois pourtant que jamais femme ne m'aura autant aimé. Ni ne m'aimera autant."

L'auteur traite dans ce roman un évènement passé inaperçu dans l'Histoire (puisque non commenté par les historiens) et qui parle de la première déportation exécutée par un état à l'égard d'une communauté de sa population (avant celle effectuée par le régime nazi de l'Allemagne): Il s'agit de l'expulsion par l'Espagne des "Morisques", au siècle d'or de celle-ci, quand elle était ravagée par la soif de pureté. Ce roman mené tambour battant, est un récit inventif et captivant, s'inspirant des faits historiques réels. Décrivant des personnages romanesques exceptionnels. Il est un hymne à l'amour et à la liberté.
(1) Ô Maria: paru en 2008, Édition Livre de poche, Anouar Benmalek (qualifié par l'Express de "Faulkner Miditerranéen")

Le paragraphe que j'ai choisi ici n'est qu'un simple petit clin d'œil, d'une belle fresque littéraire décrivant une Espagne entrée dans le tumulte d'une compagne revancharde contre l'Islam. Comment peut-on rester indifférent à ce petit texte, si bien travaillé linguistiquement, littérairement, sentimentalement, et dès le préambule d'un roman de 478 pages?

Mais la littérature est également une prospective d’événements sur l'actualité qui marque une époque, une région du monde, un instantané dans le cours inexorable du temps. Voici comment un autre grand talent de la littérature marocaine Abdellatif Laâbi (2) nous décrit cet instantané dans sa dernière livraison "Le livre imprévu" (pages 12 et 13)
  


"22 octobre
Hier, j'ai regardé à la télévision faute de mieux, un de ces films catastrophe dont seuls les Américains ont le secret. Suite au réchauffement climatique, le dérèglement annoncé par les scientifiques lucides et peu écoutés finit par se produire. La banquise de l'Arctique fond, entraînant un véritable déluge. Et au lieu de la surchauffe à laquelle se seraient attendus les profanes et autres naïfs peu versés dans la science, c'est finalement à un refroidissement polaire qu'on assiste, faisant régner en quelques jours sur l'hémisphère nord une nouvelle ère glacière. Les populations fuient vers le sud. Les foules américaines franchissent "illégalement" la frontière mexicaine et s'entassent, ô revers de fortune, dans d'immenses camps de réfugiés!
Au-delà de la rhétorique habituelle propre à ce genre de films, j'ai été, bon public que je suis, impressionné par la capacité qu'a l'art cinématographique de concentrer une idée et de la rendre palpable pour un nombre inestimable de gens. Et je me suis dit que la littérature, malgré ces trois mille ans d'exercice, la variété infinie des moyens qu'elle a déployée pour accéder au plus intime de l'âme humaine, n'est pas en mesure d'atteindre à cette efficacité."

Le Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger (CCME) décrit Abdellatif Laâbi comme suit: né à Fès en 1942, vit depuis 1985 - le Maroc au coeur - en banlieue parisienne. Son vécu est la source première d'une oeuvre plurielle (poésie, roman, théâtre, essai) sise au confluant des cultures, ancrée dans un humanisme de combat, pétrie d'humour et de tendresse. Il vient d'obtenir le Prix Goncourt de la Poésie.
(2) Le livre imprévu: paru en 2009, Édition La différence, Abdellatif Laâbi.

Voilà, présenté succinctement Mr Laâbi est-on tenté de dire...Mais naturellement, Mr Laâbi est beaucoup  plus que ça : il est l'INTELLECTUEL ENGAGE par excellence. Il est à lui seul un MONUMENT de patriotisme que la LITTERATURE a happé pour nous l'offrir avec des talents littéraires inimitables...

Qui a dit que la littérature doit se cantonner à ne traiter que des questions séculières? Abdelwahab Meddeb (3), universitaire tunisien, préoccupé par la tourmente qui frappe le monde musulman depuis les attentats du 11 septembre 2001, nous avertit (pages 13 et 14)

  
" Ce n'est donc pas dans le déni de soi mais dans sa reconnaissance que le sujet d'islam sera apte à agir sur le vaste théâtre de l'horizon cosmopolitique. C'est ainsi qu'il se détournera de la barbarie pour rejoindre la civilisation et en devenir contributeur et informateur. Tel est le pari de civilisation que nous mettrons en jeu.
Mais il faudra au préalable s'affranchir du culte voué à la lettre réduite à un sens univoque: ce vecteur conduit à la violence. Il faudra ensuite circonscrire tel sens dans le contexte de son émission: nous ne manquerons pas une occasion pour le faire. Afin de mener à bien un tel dessein, il est recommandé d'intérioriser le Coran, d'en actualiser l'énergie inspirante, en se faisant soi-même Coran, en se situant sur la scène de sa réception pour jouer le rôle du protagoniste de l'ange comme le recommanda à maintes reprises Ibn'Arabi, lequel ne cessait de répéter dans son oeuvre : "Sois Coran en toi-même" (kun qur'anam fi nafsika). Cette initiative nous fera vivre le Coran comme mythe, mais elle nous empêchera pas d'animer l'instance de l'histoire en laquelle s'inscrit le Livre, pour ouvrir la guerre herméneutique et rendre le Texte à l'infini du sens où résonne le choc des interprétations."

Abdelwahab Meddeb est écrivain, poète, universitaire. Il anime l'émission hebdomadaire "Cultures d'Islam" sur France Culture. D'après le Seuil, son essai propose une série de relectures du Coran et de la Tradition pour conduire un travail de mémoire et de dépassement [que les musulmans] doivent accomplir pour sortir des frontières de leur identité restreinte et agir sur la scène du monde.
(3) Pari de civilisation, paru en 2009, Édition Le Seuil, Abdelwahab Meddeb

J'ai déjà évoqué (dans mon précédent post) les talentueux auteurs égyptiens, qui écrivent sous le pseudonyme de Mahmoud Hussein (4), et notamment leur brillante théorie sur "l'interactivité" qui a prévalu judicieusement au tout début de la Révélation (dans leur quête à la compréhension par les musulmans, de certains préceptes coraniques relatifs à des problèmes quotidiens) mais qui manque désespérément aujourd'hui dans les rapports du croyant à son Dieu. Dans leur livre "Penser le Coran", ils essayent d'expliquer les deux pôles de controverses relatifs à l'interprétation du Coran par certains courants de pensée islamique (pages 23 et 24):


"Dans les premières écoles de lecture du Coran, deux démarches s'opposent déjà: l'une, dont le commentaire s'efforce de rester au plus près du texte, en s'appuyant sur la tradition des premières générations de croyants, l'autre, dans le commentaire favorise la réflexion personnelle, en s'appuyant sur la raison.
Lorsque s'esquissent les premières doctrines religieuses, on retrouve le conflit entre raison et tradition dans l'affrontement qui oppose les Qadarites, pour qui le Coran fait ressortir le libre arbitre de l'homme, aux Jabrites, pour qui le Coran fait prévaloir le pouvoir absolu de Dieu.
Avec la traduction en arabe des philosophes grecs, et tout particulièrement de la Logique d'Aristote, les thèses qui privilégient l'autonomie de la raison acquièrent une force et une cohérence nouvelles. Le grand débat théologique peut commencer. Il donnera lieu à des controverses, dont on ne soupçonne même plus, aujourd'hui, la richesse et la fécondité. En le simplifiant à l'extrême entre ses deux principaux pôles:
- L'école des Mu'tazilites donne du Coran une lecture marquée par la confiance dans le pouvoir souverain de la raison. Dieu Lui-même est Raison. Il a donné aux humains la puissance d'agir librement, à partir de quoi il les sanctionnera, à la fin des temps, en fonction de leurs actes.
- Face à cette école se dresse les représentant de la Tradition, au premier rang desquels le fondateur de l'une des quatre écoles de fiqh (jurisprudence), Ibn Hanbal. Ce dernier rejette avec force la notion de libre arbitre humain, qui apparaît comme une entrave à l'absolue puissance de Dieu, cette dernière étant hors de portée de la raison humaine."

On peut lire sur le dos du livre le commentaire suivant de la maison d'édition: Le Coran est pour les musulmans, la parole de Dieu: là-dessus il n'y a pas de discussions. Mais est-il besoin de souligner l'importance, aujourd'hui de comprendre ce que dit ce texte capitale? Ce qu'il dit est non ce qu'on lui fait dire. C'est l'objectif principal de cet ouvrage.
(4) Penser le Coran, paru en 2009, Édition Grasset, Mahmoud Hussein.

Enfin, de passage par le stand de la France au SIEL 2010, je suis tombé sur l'oeuvre de l'auteur qui m'émeut et me fascine le plus en littérature contemporaine, je veux parler de Milan Kundera (5). Dans sa dernière parution "Une rencontre", j'ai trouvé cette "perle", un petit paragraphe descriptif qui parle d'une fille que connaît le narrateur, mais qu'il rencontre dans des circonstances douteuses. Le désir qu'elle lui inspire, le transporte mentalement dans une vision furtive des esquisses du peintre Francis Bacon (ceux qui connaissent bien Milan Kundera, doivent se rappeler la passion qu'il nourrit à part égale pour la littérature comme pour la peinture et la musique classique) et il dit page 19:








"Mais je voyais ces deux yeux qui me fixaient, pleins d'angoisse (deux yeux angoissés dans un visage raisonnable), et plus ces yeux étaient angoissés, plus mon désir devenait absurde, stupide, scandaleux, incompréhensible et impossible à réaliser.
Déplacé et injustifiable, ce désir n'en était pas moins réel. Je ne saurais le renier -- et quand je regarde les portraits-triptyques de Francis Bacon, c'est comme si je m'en souvenais. Le regard du peintre se pose sur le visage comme une main brutale, cherchant à s'emparer de son essence, de ce diamant caché dans les profondeurs. Certes nous ne sommes pas sûrs que les profondeurs recèlent vraiment quelque chose -- mais quoi qu'il en soit, en chacun de nous, il y a ce geste brutal, ce mouvement de la main qui froisse le visage de l'autre, dans l'espoir de trouver, en lui et derrière lui, quelque chose qui s'y est caché"

Est-il nécessaire de présenter encore Milan Kundera ? Néanmoins, voici quelques éléments nécessaires  pour situer sa notoriété récente : né le 1er avril 1929 à Brno/ancienne Tchécoslovaquie. Il fut déchu de sa nationalité tchèque en 1979, et deux ans après, Mitterrand lui a "octroyé" la nationalité française le 1er juillet 1981. Lauréat de plusieurs prix littéraires (Médicis/Etranger en 1973; Prix Aujourd'hui en 1993; Prix Herder en 2000, il obtint le Grand Prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de ses œuvres en 2001.
Comme il le suggère lui-même, le livre en question est une "...rencontre de mes réflexions et de mes souvenirs; de mes vieux thèmes (existentiels et esthétiques) et mes vieux amours (Rabelais, Jancek, Fellini, Malaparte...)...
(5) Une Rencontre: paru en 2009, Édition Gallimard, Milan Kundera

Je ne peux pas clore cette merveilleuse fresque de récits littéraires (que je n'ai fait que survoler par bribes, et rapidement plus haut) sans évoquer ce passage tellement parlant du livre "Les étoiles de Sidi Moumen" de Mahi Binebine (pages 11 et 12):



"Longtemps avant la démocratisation des antennes paraboliques, il fleurissait sur les toitures de notre cité d'ingénieux bricolages à base de couscousiers permettant la réception des émissions étrangères. En vérité les images étaient floues, quasi cryptées, mais on devinait tout de même le sillage des silhouettes et le son restait à peu près correct. On suivait tout particulièrement les chaînes espagnoles et portugaises pour le foot, les allemandes pour l'érotisme [...] et enfin les chaînes arabes pour cette dose quotidienne du conflit israélo-palestinien et les méfaits de l'occident cannibale. [...] Aussi en raison de la surdité de mon père, nous mettions le volume si haut que nous étions contraints de voir la même chaîne que nos voisins pour ne pas faire désordre. Et malgré cela nous nous réunissions tous les soirs, petits et grands, autour de cette lucarne magique, ouverte sans vergogne sur les curiosités du monde."

L'auteur est natif de Marrakech en 1959. A ses talents de romancier il ajoute ceux d'artiste-peintre et de sculpteur. Les étoiles de Sidi Moumen est son septième roman: C'est ce qu'on peut lire sur le dos de cet ouvrage. Tout ce que je peux ajouter personnellement est que c'est un livre très poignant.
(6) Les étoiles de Sidi Moumen: paru en 2010, Edition Le Fennec, Mahi Binebine.

Ces différents passages littéraires nous interpellent: On peut se demander comment avec de tels  talents, de tels arguments, avec de telles perspectives tracées, avec tant de clairvoyance dans le jugement et tant d'expériences enrichissantes pour l'espèce humaine toute entière, notre petit "village planétaire" est resté sourd aux "appels" de cette littérature, et acculé à la tourmente, au désarroi, à la cruauté et au doute?

Peut-être que ce  XXème siècle fantasque, avec ses progrès technologiques fulgurants, et ses conflits sanguinaires a donné un coup d'arrêt à cet "animal" indomptable (la littérature), qui n'en finit pas de rebondir avec ténacité, pour prendre sa revanche...sous des formes divers...

Mais peut-être tout simplement, comme l'a suggéré A. Laâbi, "malgré trois mille ans d'exercice et la variété infinie des moyens qu'elle a déployés pour accéder au plus intime de l'âme humaine, la littérature n'est pas en mesure d'atteindre à cette efficacité"... (technologique s'entend).

A moins que ce ne soit cette fatalité aveugle qui, malgré la richesse et la diversité des œuvres littéraires "savantes" mises à disposition, laissent les lecteurs que nous sommes en marge malgré-nous, soit parce que notre indigence nous empêche d'y accéder, soit parce que l'obscurantisme érigée en culture nationale y fait barrage et nous pâtissons ainsi d'une réalité qui nous dépasse!

Pourtant je suis convaincu que l'avenir de l'homme c'est bien LA LITTÉRATURE !

Une littérature qui libère nos sentiments (de leurs préjugés), nos passions (de leurs pulsions refoulées), et offre à notre quotidien une alternative à sa déprimante monotonie. Une littérature en somme qui élève l'individu à une conscience (collective) de ce qui est le Bien et le Mal, pour qu'il se sente acteur et non spectateur dans son environnement...

Mais cette littérature ne peut produire ces bienfaits que dans un milieu qui jouit d'une culture "saine" et ouverte sur le monde, sans préjugés ni parti-pris, associant des individus enclins aux connaissances universelles, et capables d'émotion et d'empathie pour des événements qui ne les concernent pas forcément, mais les interpellent! 

Alors seulement, cette littérature pourra jouer pleinement son rôle, celui de transformer le visage tourmenté du monde!

Mais ne dit-on pas :"qui peut le moins, peut le plus"!

dimanche 14 février 2010

DIEU EST GRAND ET MISERICORDIEUX !

Décidément, l'Égypte des Pharaons nous étonnera toujours:
 
 







En effet, voici un pays réputé le plus pauvre du monde arabo-musulman, mais c'est le pays dont " l'intelligentsia" compte les plus grands noms - de tous les temps - de la littérature, de la poésie et de la pensée arabe moderne, et dont le taux d'alphabétisation de la population est le plus élevé du monde arabe! (Du moins ce que nous en disent certains média bien intentionnés).

C'est un pays dont la position est non seulement centrale mais incontournable sur l'échiquier géopolitique du Proche-Orient, et c'est néanmoins un "maillon faible" politiquement parlant!


C'est le berceau de la littérature arabe (classique et moderne) et le porte-flamme de la presse la plus prestigieuse du Moyen Orient, mais c'est le pays où la liberté d'expression se trouve être aujourd'hui la plus bafouée du monde arabe!

Enfin, sur le plan sportif, c'est un pays dont on imagine qu'il aura du mal à aligner une équipe d'athlètes digne d'affronter une compétition internationale, mais le voici qui a donné une leçon magistrale à l'Afrique entière lors de la dernière édition de la CAN 2010! Et comme un bonheur ne vient jamais seul, c'est le pays qui fournit encore aujourd'hui les penseurs réformateurs de la religion musulmane les plus audibles et les plus pertinents du monde arabe!

  
Cette réflexion m'a traversée l'esprit au moment où j'ai terminé ma première visite au Salon de l'Edition et du Livre (qui ouvre ses portes à Casablanca depuis le 12 jusqu'au 21 février 2010) après avoir assisté, fasciné (comme la majorité du public présent), par l'intervention étincelante de nos deux célèbres Baghat Elnadi et Adel Rifaat (plus connus sous le pseudonyme Mahmoud Hussein) auteurs des non moins célèbres volumes 1-2 d'AL-SIRA, parus chez Grasset en 2005 et 2007. Ils étaient invités au salon pour débattre de leur dernière parution "Penser le Coran" (la Parole de Dieu contre l'intégrisme) sortie en librairie vers le milieu du 2009. Comme le modérateur pendant ce débat était Sghir Janjar, le Plaisir et la Culture étaient tous deux au rendez-vous...

   

Tout d'abord nous avons appris qu'en ce qui concerne le principe de la liberté d'expression, les intellectuels réformateurs musulmans ont de plus en plus du mal à trouver des éditeurs arabes, capables de passer outre le courroux des pouvoirs publics à leur encontre, en leur donnant une chance de paraître... Pour mériter la reconnaissance qui leur est due, ces intellectuels doivent passer par des éditeurs occidentaux, grâce à la traduction de leurs œuvres, pour pouvoir "exister" chez eux ! C'est forts de leur légitimité occidentale acquise grâce à leur talent, qu'ils peuvent espérer bénéficier de celle de leur pays d'origine et mériter le "sésame bienveillant" des maisons d'édition nationales.

 Cela se passe dans le pays le plus "cultivé" du monde arabe!

Ensuite, ils auraient passé plus de 10 ans de leur vie dans la recherche pure, à travers différentes sources d'informations (universités, bibliothèques nationales, académies etc...) en Égypte, en Arabie Saoudite, en Syrie, en Irak... Ils auraient répertorié, consulté, analysé plus de 5000 Hadiths, et visité les principaux lieux de résidence connus ou supposés des plus célèbres compagnons du Prophète et des 4 Khalifas qui lui ont succédé, le tout pour bien s'imprégner du texte et du contexte ainsi que des circonstances de la Révélation, afin nous disaient-ils, de bien "entrer le plus profondément possible" dans l'atmosphère de l'époque pour revivre psychologiquement "l'interactivité" qui régnait entre les premiers musulmans de l'époque et Dieu, par Prophète interposé! C'est cette "interactivité" permanente, concernant des questions pratiques de tous les jours, qui explique certains changements observés (dans le texte coranique) dans la formulation de certains versets qui venaient "abroger" les versets antérieurs sur le même sujet. N'oublions pas que la période de la Révélation s'est étalée sur 23 ans, ce qui a permis aux musulmans de cette époque de vivre en parfaite harmonie avec le Message Révélé, lequel évoluait "graduellement" en fonction des besoins "ressentis" de la population, et des conditions de vie "modifiées" avec le temps...C'est là le premier enseignement tiré de ce débat: le Coran est un Message destiné à rester "interactif" entre le croyant et Dieu, dans l'intimité de la foi individuelle et sincère, sans nul besoin "d'intervenant" extérieur, aussi exégète soit il! Il semblerait même que si le Prophète n'a pas souhaité "rassembler" les 60 Sourates de la Révélation de son vivant, c'est pour permettre aux musulmans de vivre leur foi en "interactivité" avec le Message Divin! De manière à ce que le Coran ne soit pas compris comme un Message figé, non conforme à l'évolution des conditions de vie du musulman, compte-tenu de l'extension de l'Islam à travers le monde et à travers le temps. Le deuxième enseignement retenu de ce débat c'est l'instrumentalisation politique de ce Message Divin par les Khalifas (en particulier à partir de Mouawia) pour asseoir leur pouvoir et jouir d'une légitimité au moins égale à celle de Abou Bakr (ou de Omar Ibnou Lkhattab) dont l'aura était légendaire parmi les musulmans de l'époque.

Je n'ai pas la prétention de vous transcrire fidèlement l'ambiance en même temps sereine et consciencieuse qui régnait pendant ce débat, ni les savants commentaires et analyses exprimés calmement (le sujet étant délicat) par nos deux Égyptiens et le brillant anthropologue Marocain Sghir Janjar: il me suffit de vous dire que j'étais soulagé et ravi de me rendre compte qu'il y a encore de l'espoir de voir ces Musulmans assez "éclairés" pour mettre leur intelligence au service de leur foi et vivre en harmonie avec leur époque, sans renier les fondamentaux de leur Culte!

Imaginons un instant que Dieu, dans Sa Grande Miséricorde, décide de nous envoyer un nouveau Messager aujourd'hui : d'après vous, quel sera le Message de notre Dieu Bienveillant, et qui sera le Peuple Élu??

Bien entendu, les voies du Seigneur sont insondables, mais en suivant le principe de l'Ijtihad (que malheureusement les Musulmans dans leur majorité ont négligé), on peut anticiper et dire que ce nouveau Message serait, presque à l'identique que le précédent, 
à savoir :  

"Aimez-vous les uns les autres, aidez-vous les uns les autres, combattez le Mal et soutenez le Bien, assurez la Justice Sociale parmi vous, et faites régner sur terre une Répartition Équitable des Biens que Je vous ai prodigués..."

Et quel serait le peuple élu ? 
Naturellement, celui qui aurait réussi à s'affranchir de ce simple mais néanmoins lourd défi !!!

Compte tenu du marasme endémique dans lequel se complait le Monde Musulman, je crains que la Malédiction de Dieu s'est abattue sur nous... pour avoir osé dénaturer Ses Paroles et Ses Recommandations sans vergogne !  

vendredi 12 février 2010

P R É S E N T A T I O N

Loin de moi de prétendre approcher, même de loin, l'Ombre de cet Immense et talentueux Penseur Arabe, surnommé "le Doyen de la Littérature Arabe du XX ème siècle", et qualifié comme l'un des réformateurs le plus audacieux et le plus moderniste de la langue arabe et l'un des pourfendeurs de l'immobilisme et du conservatisme de la société égyptienne de son époque (c'est-à-dire entre les deux guerres mondiales): c'est naturellement de TAHA HUSSEIN dont il s'agit.

Néanmoins, je reste sous influence...


En choisissant ce pseudonyme pour mon blog, c'est un clin d'oeil furtif que je fais à mon adolescence: A seize ans, alors bercé par le programme littéraire français (Balzac, Zola, Hugo, Voltaire, Rousseau etc...) l'intrusion par notre prof du "Livre des Jours" de Taha Hussein (sur la liste des oeuvres à étudier), fut pour moi un émerveillement (quelle grâce et quelle sobriété dans le style) et surtout ce fut un signe prémonitoire qui marqua à jamais mon caractère et mes jugements...

Depuis, mon admiration pour "ce cher disparu" est sans borne.

N'est-ce pas un destin sombre que celui de ce grand romancier, essayiste et critique littéraire égyptien, frappé de cécité dès l'âge de 3 ans.


N'est-ce pas un parcours improbable que celui de ce réformateur, semé de défis, de combats et d'incompréhensions, lui qui dut affronter (à son retour de Paris, après avoir soutenu une thèse de doctorat à la Sorbonne) l'hostilité du corps enseignant y compris certains recteurs, et même la raillerie de quelques écrivains contemporains, jaloux pour ses succès littéraires. A cause de son choix matrimonial d'abord, mais surtout pour son ouverture à la modernité qu'il voulait insuffler dans les programmes figés et exagérément traditionalistes de l'enseignement secondaire et universitaire de son pays; sans parler de son interprétation libérale du Coran et sa critique de certaines attitudes rigides des exégètes musulmans: il fut l'opprobre des académiciens égyptiens.

N'est-ce pas une ascension sociale fulgurante que le cas de ce "pauvre étudiant boursier à Paris" dont la carrière fut pourtant marquée par des nominations prestigieuse jusqu'à celle de Ministre de l'Education Nationale, lui le septième d'une fratrie de treize enfants, né un 14 novembre 1889, dans une pauvre famille de la Moyenne-Égypte.

  









En outre, de par son mariage (son épouse était française) et pendant son séjour à Paris, il perçut vite l'écart abyssal qui sépare les deux civilisations : l'arabo-musulmane et l'occidentale. Il dut alors prôner de toute son énergie (parfois à son corps défendant) l'égalité des chances, la justice sociale, et la reconnaissance des droits de la femme (son épouse y était-elle pour quelque chose?). Il va jusqu'à provoquer le courroux du recteur de la prestigieuse université AL-AZHAR, qui l'accuse de vouloir introduire la laïcité dans les traditions religieuses de son pays, et même de le soupçonner d'avoir renié sa foi!?


Appréciez donc le courage et la détermination de cet intellectuel arabe hors pair (nous parlons du début du XX-ème siècle dans les années 1940) le "Zola égyptien" à sa manière et dans un autre registre, pétri d'amour pour son pays, et même aveugle, ressentant le poids exagérément lourd des traditions, voulut apporter sa contribution à l'ouverture nécessaire de la société égyptienne vers une nouvelle gouvernance, marquée par l'égalité des chances et la justice sociale.

Avec le temps et regardant derrière moi, je me rends compte aujourd'hui avec étonnement combien ce parcours exceptionnel d'un intellectuel arabe a marqué subrepticement mon propre cheminement!

Comme lui, et très tôt, je fus impressionné par "la culture occidentale" (nous étions sous protectorat français, et la lecture assidue des grandes oeuvres de la littérature française m'a vite ouvert l'esprit vers la comparaison et la critique...

Comme lui, de par mes fonctions, j'ai vécu plus de 23 ans en Europe (presque un quart de siècle) et j'ai eu suffisamment de temps pour me rendre compte que les notions d'égalité des chances, d'égalité des droits, de bonne gouvernance avaient des connotations particulières selon de quel côté l'on se place des deux rives de la Méditerranée.

Comme lui, (parce que je suis marié à une européenne) j'ai du subir à mon retour au pays, reproches, sarcasmes et critiques (jusque dans ma propre famille) pour mon comportement singulier où les signes distinctifs de ma "marocanité" avaient semble-t-il définitivement disparu!

Comme lui, j'ai été impatient de voir mon pays rattraper ce retard dans la gestion des affaires culturelles, sociaux-économiques, et de bonne gouvernance, et j'ai dû, souvent avec virulence au cours des débats improvisés (dans ma famille), m'emporter, critiquer, exhorter, accuser le laxisme ambiant, et la somnolence des autorités devant tant de tâches non programmées!

Mais avais-je perdu pour autant mon sens des réalités et ma "culture" arabe ?

Je ne pense pas : je suis resté attaché à certains principes ( mon séjour prolongé en Europe y était pour quelque chose) universellement reconnus et auxquels je croix fermement. Je ne pense pas que ces principes nuisent à ma condition de citoyen marocain. Accompagner le mouvement du temps sans en renier les bienfaits qu'il introduit dans notre comportement et notre vision des choses : c'était le minimum "syndical" auquel je peux prétendre, pour rester cohérent avec moi-même, et apporter ma contribution (certes très modeste) à l'évolution de "notre société" (par le dialogue et l'esprit critique) trop repliée sur elle-même à mon goût !...

Et j'ai décidé donc d'agir!... Mais par écrit (je laisse l'action aux plus jeunes, qui ont de l'énergie à revendre!), en abordant les sujets que l'actualité brûlante me met sous les yeux...Et je procéderai avec humilité, modération et impartialité, pour autant que la "matière" abordée le permette à un "citoyen impatient" et qui aime son pays...

Je vous remercie chers visiteurs de ce blog de me lire avec indulgence (je suis à mes premières tentatives d'écriture...) et à mon prochain billet. N'hésitez pas à intervenir si le coeur vous en dit. Et merci par avance!