A L'OMBRE DE TAHA HUSSEIN

UN CITOYEN QUI S'INTERESSE A LA MARCHE DU SIECLE

mardi 26 octobre 2010

LA LITTERATURE : MYTHE OU REALITE ?

Le Maroc peut se targuer d'être "le Plus Beau Pays du Monde" (laissez-moi rire!), d'avoir le gouvernement le plus "performant" (plutôt le plus atone par rapport à ses prédécesseurs!), d'être bien ( ou plutôt mal) vu dans le concert des nations, d'avoir le régime monarchique le plus "ancestral" (mais le plus archaïque par ces modes de gouvernance), cela peut laisser indifférent. Par contre, le fait est là:

Le Maroc peut s'énorgueillir d'avoir une élite intellectuelle visionnaire qui vient de produire "le Magazine Littéraire du Maroc" (depuis déjà un an, et à raison d'une parution par trimestre!) et ce Maroc là est par contre, pour cette seule raison, digne d'éloges et d'estime, à mon sens. http://fr-fr.facebook.com/pages/Temara-Morocco/Le-Magazine-Litteraire-du-Maroc/298600138266

C'est peut-être un peu sommaire de ma part, de ramener toute l'histoire - que dis-je, toute la notoriété d'une nation - à sa seule production littéraire. Mieux encore, peut-on allègrement, sans tomber dans un pur angélisme, considérer les œuvres littéraires d'un pays comme un critère de notoriété ou une échelle de mesure de son développement?
De prime abord, cela peut paraître bigrement réducteur!

Détrompez-vous!

Si l'on regarde de plus près le passé des nations développées , que constatons-nous avec étonnement? Que la Littérature était le précurseur incontestable (c'est grâce aux grands auteurs et philosophes du 17è et 18è siècle que "les siècles des Lumières" ont vu le jour, et avec eux, les prémices d'une nouvelle civilisation!) au développement industriel, économique et social de ces nations! Les pères fondateurs de la Littérature (classique) avaient contribué par leur génie créateur, et grâce à leur pertinence dans l'analyse des mœurs, et leur talent de pourfendeurs des injustices et des insuffisances dans les systèmes de gouvernance de l'époque, à l'évolution des mentalités, à l'émancipation des sociétés par voie de conséquence, et donc à l'avènement des temps modernes!...

Chez-nous, il a fallu attendre que notre élite se réveille, après la torpeur des années de plomb (une longue sieste à vrai dire!) pour commencer, par la culture, la longue marche qui nous sépare de l'Occident...Le chemin est certes encore long, mais les premiers jalons sont maintenant installés (avec cette publication) et souhaitons à cette heureuse initiative moins d’embûches sur son parcours et une longue vie!... 
Néanmoins il faut espérer de nos intellectuels, que la Littérature qu'ils nous proposent dans ce magazine soit d'abord un point d'ancrage à une culture et un patrimoine qui nous sont propres, avant d'être une passerelle vers d'autres cultures (et civilisations suis-je tenté de dire, tellement ce monde qui nous entoure nous paraît fascinant et riche de tant d'expériences et de réalisations).

Encore faut-il que cette jeune publication ait comme perspective probable l'ouverture aussi vers des intellectuels venus d'ailleurs!...

Cette "main tendue" à "l'autre" doit se faire dans un élan de confiance et de reconnaissance mutuelles qui pourraient nous élever un peu de notre médiocrité quotidienne, et nous libérer de nos crises récurrentes d'identité ou de doute sur nos capacités à nous émanciper de nos entraves psychologiques dues au sous-développement qui nous "habite!"...

Moi qui suis un fidèle lecteur de ce magazine, je peux vous assurer que de ce point de vue, nos intellectuels fondateurs de MLM ont rempli leur mission dignement et méritent notre confiance (ils ont du talent à revendre!), pour la démarche courageuse qu'ils ont entreprise, (nourrie de riches expériences culturelles croisées), qui ne peut que satisfaire le plus exigeant d'entre nous.

Entendons-nous bien: je ne suis nullement un critique littéraire et je n'ai aucune prétention à l'être. Je suis seulement un amateur féru de littérature, qui aime partager ses goûts avec autrui, sans prétention aucune.
Découvrons donc ensemble, quelques extraits de ce prestigieux magazine littéraire MLM.

Tout d'abord, je voudrais exprimer mon admiration pour le fondateur de cette publication, Monsieur Abdesselam CHEDDADI: ses éditoriaux et chroniques sont tout simplement un régal! Je les ai relus tant de fois, et autant de fois je fus conquis par sa vision pragmatique sur les incohérences ou les fatuités du monde qui nous entoure, dans un style où la pertinence le dispute à l'expertise d'un historien qui se frotte à la littérature avec élégance. C'est de mon point de vue l'auteur "littéraire" (en plus de son statut d'historien) le plus remarquable parmi ses pairs.

J'avoue sans détour ma confusion : je le découvre seulement depuis cette publication!

Je ne veux pas oublier de dire ma totale surprise à la découverte de notre éminent et néanmoins modeste Abdelfattah KILITO (Professeur de lettres et écrivain essayiste) et que je découvre également par ce biais et qui m'a tout simplement impressionné par ses goûts littéraires (on le devine profondément pétri de littérature universelle!). Sa modestie, son érudition polyglotte (il lit, parle et écrit l'Allemand en plus de son bilinguisme Arabe et Français) et en particulier son humilité devant les trésors infinis que d'immenses auteurs de différentes nationalités ont légué à l'humanité entière...tout cela m'a véritablement conquis!

Je vais vous laisser apprécier maintenant quelques extraits que j'ai choisis pour vous (en cédant à mes penchants personnels) qui ne sont ici qu'une infime partie du "trésor" contenu dans les différents numéros déjà édités dans ce magazine).

MLM n° 1, automne 2009, entretien avec M. KILITO, page 6, avec quelques opinions étalées tout le long de l'interview pages 7,8,11 et 12:
M L M : Comment es-tu devenu écrivain et pourquoi?

M. KILITO : J'ai quelques réticence à me considérer comme un écrivain. A la rigueur, un écrivant, pour reprendre le mot de Barthes. Écrivain me semble trop prétentieux, ma production littéraire est bien mince et j'ai plutôt fait oeuvre d'essayiste. Cela dit, le rêve de l'écriture ne m'a jamais quitté, peut-être dès que j'ai appris à lire. Un lecteur est plus ou moins consciemment amené à imiter, pasticher, parodier ce qu'il lit. Et un jour surgit l'impératif, superbement énoncé par Victor Hugo à quatorze ans: "Je serai Chateaubriand ou rien". Des vocations naissent parfois à la lecture de biographies d'écrivains, tel modèle se profile, on se dit: "je vais tenter moi aussi ma chance. En ce qui me concerne, une autre raison m'a poussé vers l'écriture. Élève, j'étais nul dans les matières scientifiques, mais assez "fort" en composition française, ainsi qu'en rédaction arabe. Que faire d'autre sinon écrire, sur tel sujet, deux ou trois pages. Cela continue, mes textes dépassant rarement ce nombre.

M L M : Ecris-tu par amour de la langue, pour le plaisir de raconter, par nécessité intérieure, pour faire advenir quelques chose que tu ne connais pas et qui te pousse à écrire? 
M.KILITO : C'est un pari, on ne le fait pas nécessairement avec les autres, plutôt avec soi-même, on essaie de le relever. Il y a aussi la croyance en la vertu du travail, au résultat de l'effort: un texte, au début, ce n'est rien, magma, chaos honteux. Petit à petit, jour après jour, il prend forme, et à la fin, ça va, ça va.

M. KILITO: (citations)
  • Un écrivain, c'est un regard inédit sur le monde, à chaque fois le regard diffère.
  • D'autres codes ont été adoptés et progressivement la littérature arabe est devenue "étrangère" à elle-même, elle est devenue largement européenne.
  • Pour parler d'une littérature, il faut poser, au moins théoriquement, un commencement. Où situer celui de la littérature marocaine?
  • Je pense que l'écriture nous détache quelque peu de nous-mêmes en libérant des virtualités, des possibilités d'existence.
Lisons ensemble maintenant ce que dit M.CHEDDADI, fondateur du M L M (pages 4-5, n°5, automne 2010) :
"Dans les sociétés modernes (si ce n'est pas en fait, dans toute société, passée ou présente), la littérature est sans doute l'activité expressive et symbolique la plus vitale: tirant sa substance de la langue, de la pensée, de l'expérience vécue, des valeurs religieuses, morales, métaphysiques, esthétiques, voire scientifiques, travaillant à la fois sur le réel et l'imaginaire, sur l'intellect et le sentiment, sur la réalité et le rêve, sur le conscient et l'inconscient, elle crée au travers et au-dessus de notre monde matériel quotidien de l'urgence, de l'utilité et de l'intérêt, un monde mental distancié et détaché, où les individus peuvent se reconnaître et se rencontrer, satisfaire leur curiosité, se projeter, se retourner sur eux-mêmes pour réfléchir sur leur expérience propre. La littérature nous permet ainsi de construire nos regards croisés sur nous-mêmes et sur le monde, renouveler nos perceptions et nos visions spirituelles, éthiques et esthétiques, faire la soudure avec nos expériences passées, être nous-mêmes sans complexe tout en étant libres et ouverts aux autres. Par-dessus tout, la littérature insuffle une vie sans cesse renouvelée aux langues que nous pratiquons, source de notre plaisir le plus intense et objet de partage le plus sublime avec les autres".

N'est-ce pas une projection audacieuse et en même temps visionnaire sur le rôle de la littérature dans l'élévation culturelle et l'émancipation des individus? 

Le revoici dans une autre chronique du même magazine :

MLM, n° 3-4/Printemps-Eté 2010, "Quand l'écriture s'en mêle":Abdesselam CHEDDADI, page 15.
"Le souvenir, le réel, l'imaginaire. Dès que l'écriture s'en mêle, on n'est plus vraiment ni dans le souvenir, ni dans le réel, ni dans l'imaginaire. On est dans l'écriture, ce qui est tout autre chose. C'est comme rêver de longues années d'une montagne et un jour se retrouver en train de gravir une vraie montagne, ou fantasmer une forêt et un jour se perdre dans une vraie forêt. On connaît ça, forcément, on y a si souvent pensé, en même temps ça n'a rien à voir: on sue, on a des crampes, on se demande si on peut continuer encore à monter, si ça vaut le coup d'arriver au sommet, au pic le plus élevé. Arrivé au sommet, on regarde le paysage, le monde est à nos pieds, on est heureux, on se sent plus près du ciel, aucun obstacle devant nous, on touche de la main la pureté de l'air, on peut saisir l'horizon bleu. Mais on ne peut rester au sommet, il faut descendre, vite, dévaler les pentes en s'écorchant les jambes, en se tordant les chevilles. Parvenu à la plaine, les sommets sont vite oubliés, à peine une sensation fugace, quelque chose qui sonne comme une victoire ou une liberté qu'on ne tient plus.
[...]
Puis il arrive qu'on se perde ou qu'on se sente, un instant, perdu. On est dans une clairière, mais on ne sait plus de quel côté se diriger. On voudrait rester là, dans cette clairière, qui est le cœur de la forêt, qui est, en ce moment précis, le cœur du monde, le cœur de la vie. On oublie tout ce qu'on a laissé derrière soi. On est au cœur de la vie. Pourquoi aller plus loin? Pourquoi bouger encore? L'instant que cela dure ne compte pas. Rien ne lui ressemble. Ça n'a pas de nom, et c'est bien ainsi, jusqu'au moment où l'inquiétude refait son apparition. Il faut revenir, il faut retrouver une direction, un sens, même sans savoir précisément de quelle direction et de quel sens il s'agit. Le charme est rompu, l'écriture s'arrête".
Je l'ai déjà dit, (et je n'ai pas peur de me répéter) le style de notre CHEDDADI dégage une élégance irrésistible et une pertinence dans la description des sensations, inégalables!

Voici maintenant un extrait d'une chronique éditée sur le même magazine, par une écrivaine que je découvre en même temps que vous. Encore une fois, ce sont tous des extraits très succincts, pris d'une manière très subjectives (répondant à mes goûts personnels) dans de longs articles que je ne peux pas reproduire intégralement, mais qui donnent un aperçu sur le cheminement de la pensée des auteurs ainsi choisis par moi, au hasard de mes lectures.

MLMn° 3-4/Printemps-Eté 2010, "Un roman à quatre mains": Rachida Madani, page 19.
"Écrire un roman est un voyage de longue haleine, une aventure à risques qui se fait dans la solitude la plus complète, jusqu'aux confins de soi. L'Autre, dès qu'il pointe en filigrane, son nez de lecteur, devient pour moi, un intrus à bannir sans ménagement, un trouble-fête car c'est pour mon plaisir personnel que j'écris avant tout. Toute présence autre que celle de ma plume est indésirable au moment où je suis aux prises avec les mots. Tolérer le regard d'un lecteur sur mon oeuvre en cours de gestation, c'est restreindre ma liberté, c'est accepter l'inacceptable.

J'ai rêvé pourtant à travers mon premier roman L'Histoire peut attendre d'un lecteur particulier. Celui qu'on inviterait à endosser le rôle d'un personnage du récit, celui qui sans cesser d'être lecteur se transformerait en héros dans la fiction et prendrait en charge son destin dans le texte, mais surtout celui qui contribuerait à l'élaboration de la narration, à la construction du sens à l'intérieur de l'oeuvre. Un lecteur actif, devenu enfin partie prenante dans l'acte d'écrire, au même titre que l'auteur. C'était mon rêve. C'était... pure fiction."
Vous comprenez maintenant ma démarche: la Littérature est loin d'être "un long fleuve tranquille", ou une distraction "innocente" qui procure du "plaisir" que l'on veut partager avec les autres... Bien plus: c'est un "appel" intérieur, une épreuve harassante, parcourue de doutes et de questionnements, un parcours de combattant qui expose en permanence aux obstacles, aux préjugés, aux oppositions ou critiques, et souvent à des crises de confiance, à des renoncements, à des frustrations...

C'est aussi un pont dressé vers l'Autre, pour l'inciter à réfléchir, à se mettre en question, à participer, fut-ce par la communauté du destin, à "débroussailler" notre parcours de ses nocives fatuités...

Fort heureusement, la "Littérature" ne nous attend pas ! Elle passe son chemin, souveraine... imperturbable...et toujours en avance sur son époque! Même si elle s'en inspire profondément!

LA LITTÉRATURE ?... UNE RÉALITÉ QUI DÉPASSE LA FICTION!